
.CRITIQUE/
C’est le premier disque du saxophoniste Ornette Coleman chez le label Blue Note.
10 ans après l’enregistrement de son premier disque, c’est en trio que le saxophoniste se produit, au « Golden Circle » club de Stockholm.
C’est avec le bassiste David Izenzon et le batteur Charles Moffett qu’il enregistre 2 albums en 1965 ; ils sortiront par la suite en 1966.
Toujours à la recherche d’une liberté sans faille, l’album déroule un jazz ludique à l’énergie brute avec un David Izenzon dont la maitrise de l’archet en free jazz est une référence.
O. Coleman est au summum de son art devant un public acquis à la cause d’un free jazz aujourd’hui dompté, mais qui auparavant pouvait être décrié voire incompris.
Le magnifique concert d‘un défricheur de génie ! Ocollus
—————————————
Cliquez pour écouter (ci-dessous)
extrait……
Une subversion primitive des plus délicieuses flottait dans l’air lorsque le saxophoniste alto Ornette Coleman a présenté son dernier chapitre du « nouveau jazz » en décembre 1965 au club Golden Circle (Gyllene Cirkeln) de Stockholm. Il était accompagné du trio avec lequel il avait exploré de nouveaux horizons sonores au cours de l’année précédente : le bassiste virtuose David Izenzon, aussi habile au jeu à l’archet qu’au pizzicato, et le batteur Charles Moffett, brillant par ses cymbales texturées et ses rimshots percutants.
Les 3 et 4 décembre, au Golden Circle, Blue Note enregistra deux albums live du trio innovant, marquant ainsi la première collaboration du label avec le saxophoniste iconoclaste qui avait bouleversé le monde du jazz six ans plus tôt avec son premier album pour Atlantic, The Shape of Jazz to Come, sorti en 1959. Si cet album et ses performances live sur les deux côtes ont d’abord suscité des critiques polarisées, allant du génie à la dérision, Coleman, plus que tout autre artiste avant-gardiste et influent, s’est révélé être le précurseur de la prochaine étape évolutive du jazz. Même s’il était alors l’incarnation même de l’avant-garde, sa musique rebelle de la fin des années 50 et du début des années 60 semble aujourd’hui remarquablement moderne, d’autant plus qu’au fil des ans, de nombreux musiciens ont suivi son exemple et jouent aujourd’hui une musique plus en phase avec ce qui était autrefois considéré comme radical et méprisé.
Il est important de noter qu’avant d’enregistrer ses six albums chez Blue Note, Coleman s’était retiré de la scène jazz, à l’instar de Sonny Rollins, s’imposant un exil volontaire loin des concerts et des enregistrements, de décembre 1962 (après un concert autoproduit au Town Hall de New York) à janvier 1965 (un retour triomphal au Village Vanguard où il ajouta la trompette et le violon à son arsenal instrumental). Il réapparut revigoré et débordant d’imagination.
Sur At the Golden Circle, Volume One, Ornette et ses acolytes sont au sommet de leur art. Dans les notes de pochette de la réédition CD RVG de l’album par Blue Note en 2002, John Litweiler, auteur du livre Ornette Coleman: A Harmolodic Life, qualifie l’album d’« extraordinaire », ajoutant que « la créativité pure de l’improvisation d’Ornette Coleman ici serait miraculeuse à n’importe quel moment de l’histoire du jazz ; de plus, même selon ses propres critères élevés, il a créé au Golden Circle certaines des plus belles musiques de sa carrière discographique ». Composé de quatre morceaux originaux de Coleman, Volume One s’ouvre sur le présentateur qui présente le trio et Ornette qui répond timidement : « Nous avons beaucoup apprécié notre passage ici et espérons que tout le monde a également apprécié ». Il enchaîne ensuite avec le morceau dansant « Faces and Places », qui met en valeur son alto exubérant et fantaisiste. C’est une chanson joyeuse et expansive, jouée à un rythme bop, qui coule avec un lyrisme enjoué et est rehaussée par ses cris aigus. L’enthousiasme improvisateur de Coleman se poursuit sur « European Echoes », un morceau d’improvisations collectives simultanées qui commence comme une valse décalée.
Il joue la mélodie dans un style accrocheur et inhabituel, semblable à celui d’un calliope.
Rapide et insouciante, « Dee Dee » présente un swing angulaire parfois présent, parfois absent, qui sert de base instable et met en valeur Coleman en tant que compositeur de mélodies par excellence (avec des passages de dissonances lumineuses et quelques fausses fins amusantes à l’alto). La « ballade » de la session est « Dawn », qui est par moments rêveuse, émouvante et angoissée. Il convient de noter l’interaction entre Izenzon, qui joue de sa contrebasse avec une nervosité et une beauté digne de la musique classique, et Coleman, qui le rejoint harmonieusement et de manière conversationnelle après son solo, à la recherche de son alto.
Le volume deux commence comme un hoedown, Coleman ouvrant « Snowflakes & Sunshine » avec son violon flamboyant, qui plonge rapidement dans la dissonance alors qu’il gratte et grince, tandis qu’Izenzon et Moffett se joignent à la fête. Izenzon, qui a commencé à jouer de la contrebasse à l’âge de 24 ans, est rapidement devenu un favori de l’avant-garde, en particulier auprès de Coleman de 1961 à 1968, avant de mourir à l’âge de 47 ans en 1979. Il surcharge l’affaire avec sa contrebasse à l’archet qui répond au violon de Coleman. Puis le leader introduit la trompette, qu’il joue à toute vitesse et avec frénésie. Il alterne entre les deux instruments tout au long du morceau.
Coleman revient au saxophone alto pour le reste du set, sur la ballade lyrique « Morning Song » (sa voix nostalgique accompagnée par les dissonances profondes d’Izenzon), le morceau rapide et frénétique « The Riddle » (avec une interaction remarquable entre le saxophone alto et la batterie) et le morceau décontracté « Antiques » (où Coleman nous offre certains de ses meilleurs passages lyriques décalés).
Les deux volumes de At the Golden Circle démontrent avec brio à quel point Coleman exprimait instinctivement sa musique avec enthousiasme. Il n’y a ici ni fioritures, ni vantardise, ni artifice, mais un lyrisme vital et sincère, celui d’un homme qui s’est donné pour mission d’écouter sa propre voix et, par conséquent, de s’éloigner encore davantage du statu quo. Après tout, être soi-même est l’incarnation même de l’art. Telle a été l’histoire d’Ornette tout au long de sa vie, mais elle se manifeste particulièrement dans ces concerts étonnants, instantanés exceptionnels qui capturent à la fois son attention et son impulsivité. Bluenote.com
————
1 « Faces and Places »
2 « European Echoes »
3 « Dee Dee »
4 « Dawn »Ornette Coleman, alto saxophone, violin, trumpet
David Izenzon, bass
Charles Moffett, drums
