Alla : le Fondou de Bechar

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15 juin 2015 par OC


alcd110

CRITIQUE /

Le Fondou de Bechar restera pour moi un des plus grand disque de luth de par la liberté exprimée par l’improvisation.
Le musicien cherche a nous emmener dans une plénitude totale et un havre de tranquillité rare. C’est comme si ses notes glissaient sur les dunes du désert et se perdaient au lointain. Tantôt cette musique envoutante nous rappelle cette musique noire africaine venue du sud, tantôt l’orient et l’Andalousie qui se rejoignent dans une extase que vient ponctuer d’une manière minimaliste, une darbouka sonnant comme un tabla indien. Que de sonorités magnifiques dans cette musique intemporelle ! On dit que certains musicothérapeute l’utilise pour guérir…. Guérir quoi, sinon la douleur de l’âme. Ocollus

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Full album…….

Voici enfin le premier disque d’Alla, de son vrai nom Abdellaziz Abdellah. Avant cela, un producteur avait réussi à le faire entrer en studio pour y réaliser une cassette qu’Alla  n’accepte aujourd’hui qu’à moitié : l’homme a toujours eu une relation absolue, mystique, avec la musique, il s’était interdit d’en faire commerce, de faire “carrière“.

Alla est né le 15 juin 1946 à Béchar “Djedid“ (nouveau), quartier périphérique de Béchar, métropole saharienne à 900 kilomètres de la Méditerranée, appelée aussi “Bidendou“. Dernier né d’une famille de 12 enfants, d’un père venu de Taghit (oasis située à 95 kilomètres de Béchar), et d’une mère originaire de Tafilalet, au sud du Maroc. Alla quitte à quinze ans les bancs de l’école pour commencer à gagner sa vie. Apprenti électricien d’abord puis boulanger, barman, il travaillera ensuite dans différentes entreprises publiques, avant d’ouvrir un magasin d’ameublement en 1986. Là, les rencontres amicales seront plus florissantes que le commerce.

À 16 ans, Alla fabrique son propre luth de fortune : l’universel instrument à cordes des gamins, à base de bidon, de bout de bois en guise de manche et de câbles de frein de vélo pour les cordes. Les copains du quartier seront son premier auditoire. En 1972 Alla achète son premier luth, il joue alors, comme tous ses pairs, des mélodies en vogue en général du “melhoun“ marocain. Mais vite, il volera de ses propres ailes, se forgeant un style, explorant des horizons nouveaux pour arriver dans sa pratique de l’instrument à une sorte de synthèse entre le jeu oriental et le jeu africain.
La démarche d’Alla sera faite d’improvisation au fil des soirées. Il ne se souviendra jamais de ce qu’il a joué la veille ; son inspiration : “tout ce qui me fait mal ressort“ dit-il. Un récital d’Alla ressemble à un rituel : on vient prendre le musicien et son luth, dans la maison familiale, près du ksar (vieille ville aux maisons d’argile et de terre cuite). Un soir comme tant d’autres, il est 20 heures lorsque la voiture d’un ami chauffeur de taxi emporte Alla vers Kenadza. Le soleil s’éteint sur la route droite, à l’entrée de la bourgade on ne voit que les contours magiques du lavoir de la mine désaffectée et une locomotive miraculeusement préservée de l’usure du temps. La soirée se passe chez un ami, un médecin “nordiste“, installé au sud, et adopté par la population.
Dans le grand salon tout le monde s’installe sur des matelas posés sur le sol l’assistance est exclusivement masculine comme le veut la tradition religieuse dans le Sud saharien. Alla se met alors à accorder son luth, des heures durant, le plus étrange est qu’il joue de son instrument tout en le réglant, au point que d’emblée, le passage au récital est imprévisible et imperceptible pour un auditeur profane. Accorder le luth n’est pas une simple opération technique pour lui. En même temps qu’il triture les cordes de son instrument, l’oreille collée aux sonorités, il cherche la voie, l’issue par où il s’échappera. Il peut jouer seul ou accompagné, il est capable de créer un orchestre dans l’assistance : jerricane, boites d’allumettes, choeur, balancement des corps, tout lui est bon, le luth d’Alla peut prendre au gré de l’inspiration les couleurs de la cithare, celles de la Cora ou du Guembri (instrument à deux cordes graves venu d’Afrique noire et popularisé dans les années soixante-dix par le groupe marocain Nass El Ghiwane). Découlant de cette liberté d’improvisation, on retrouve dans sa musique une modernité proche de l’esprit jazz dans lequel une oreille occidentale classerait volontiers ce musicien.
À Béchar, jusqu’en 1968, la France est restée présente par le biais de sa base militaire et avec elle la vie culturelle importée : orchestres venus de métropole, bals populaires, bistrots… Une ambiance qui n’a pas manqué d’influencer les musiciens de la région. C’est ainsi que l’on peut voir aujourd’hui la célèbre Hasna, vieille dame noire qui trône dans les mariages avec sa guitare électrique au milieu d’orchestres féminins. Béchar où il y a aujourd’hui des chanteuses de raï, où dans les années soixante, Bouteldja Belcacem, le Khaled de l’époque venait d’Oran donner des soirées au “Calypso“…
Dans sa ville, la musique d’Alla a fait école et porte son surnom “Foundou“. Le père d’Alla, déjà était appelé Embarek “Foundou“ parce qu’il travaillait au fond 2 de la mine de Kenadza. Le luthiste hérita donc du surnom paternel avant de le léguer à sa propre musique. La mine de Kenadza découverte en 1917, transforma cette oasis saharienne dirigée par la plus grande confrérie de l’Ouest algérien, auprès de qui séjourna Isabelle Eberhardt, en pôle industriel cosmopolite.
Le prolétariat vint de tous les horizons, des hauts plateaux, de Kabylie, du Maroc ; y travaillèrent des républicains espagnols, des Corses, des Italiens et même des prisonniers allemands de la Seconde Guerre mondiale…
À Kenadza, on fête chaque année le saint patron de la zaouïa, Sidi M’hamed Ben Bouziane, au son de la “Ferda“, musique typique, ou du “Diwan“, d’origine noire africaine dans lequel la musique d’Alla trouve aussi son imprégnation. Musique de transe à l’origine profane, mais devenue religieuse, le “Diwan“ sa poésie mystique et ses versets coraniques chantés comme une litanie trouve ses adeptes jusque dans les grandes villes du Nord.
Béchar en même temps que Kenadza, si proche, a toujours connu une vie musicale diffuse, underground, il n’y a pas une famille où l’on ne touche pas à la musique, pour le plaisir, où l’on ne “gratte“ pas un instrument. La proximité du Maroc, les alliances et migrations familiales font qu’il n’y a jamais eu de frontières culturelles. Le “chaabi“ de Casablanca, la tradition du “melhoun“ marocain (poésie lyrique amoureuse en semi-dialectal), puis celle du Guiwane dans les années soixante-dix, ont eu leur influence sur les gens de Béchar. Alla se souvient des Bouchaib El Bidaoui, Amar Zahi, Abdelhadi Belkhayat et surtout du luthiste Brahim El Allami qui ont composé son environnement musical.
Le “melhoun“ marocain a d’ailleurs donné le chanteur le plus célèbre de Béchar, Cheikh Belkbir, qui a vécu au royaume chérifien.
Il n’est pas exagéré de dire qu’Alla a fait école, une multitude de jeunes, plus ou moins connus, s’inspirent de son style ou plus exactement de l’esprit de son jeu. L’improvisation au luth, à par tir de quelques thèmes empruntés au musicien, l’accompagnement rythmique avec des ustensiles de fortune, et par celui qui le désire, les longs silences impromptus, l’égrènement léger aérien des sons, la derbouka grave et vibrante, frappée à la manière d’un tabla, le tout dans l’intemporalité, la plénitude des instants, des grands espaces: aujourd’hui à Béchar le Foundou existe.

Il faut dire que le nombre de cassettes enregistrées par les uns et les autres, au fil des soirées données par Alla est incalculable, un de ses amis en a dénombré prés de trois cents, entre 1980 et 1984.

Le luth d’Alla a ainsi déjà circulé dans son pays et hors des frontières, Bernardo Bertolucci qui tournait “Un thé au Sahara“ en emporta dans ses bagages, et le luthier de Mounir Bachir déclara à un groupe de journalistes algériens “Mais vous avez en Algérie un luthiste exceptionnel, Alla, dont le jeu échappe aux schémas de la musique arabe“, celui du nomade, sans espace précis…

Nidam Abdi

 

Alla Le Foundou – ascd003

01 – IMPROVISATION (°Ûd solo) 5′ 01 »
02 – LE FOUNDOU  (°Ûd & percussions)    26′ 22 »
03 – IMPROVISATIONS (°Ûd solo)    22′ 32 »

Enregistré par / recorded by Clément Ziegler à Murviel-les-Montpellier en Décembre 1992 – Mixage : Clément Ziegler – Mastering : Parélies – Photos : Pierre Parcé – Texte livret : Nidam Abdi – Traduction anglaise : Thiérry Quenum – Coordination : Annie Le Borgne-Queffélec – Produit par Michel Pagiras & Clément Ziegler pour « al sur ».

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